Silent Movie (1995) a été conçue à l’occasion du centenaire du cinéma suite à une commande du Wexner Center for the Arts (Columbus, Ohio). Mais il s’agit en fait, d’une nouvelle opportunité pour Marker de construire un autre modèle de la mémoire des images et des sons. Cette installation ne doit toutefois pas être regardée comme une anthologie du film muet, comme son titre pourrait le laisser penser. Cela aurait plutôt à voir avec la structure du film muet: lorsque les images n’étaient pas encore dominées par les contraintes structurelles inhérentes à la narration, les intertitres étaient assez éloignés des images, et la musique d’accompagnement ou le bonimenteur offraient plutôt une fonction de commentaire qu’une lecture univoque du film. Marker s’inspire de cette structure dans Silent Movie, mais il se sert d’images provenant de différentes époques, (pas d’extraits célèbres, ni de fragments de films connus), d’images empruntées ou de ses propres images, de citations ou d’intertitres imaginaires, et enfin de compositions pour piano, variées et de différentes périodes. De plus, Marker utilise des moyens tout à fait contemporains tels que le montage vidéo, l’impression laser pour les affiches de films, et l’ordinateur, qui gère les différents moniteurs.

Sur cinq moniteurs, superposés en une “tour” de plus ou moins 3 mètres de haut, défilent des images sélectionnées dans les archives que Marker a collectionnées tout au long de sa carrière. Le moniteur du milieu montre des images entrecoupées d’intertitres dans le style des films muets. Les quatre autres moniteurs ont chacun leur propre thème - “Le voyage”, ”Le visage”, “Le geste”, et “La valse”- synonyme des préoccupations familières de l’œuvre de Marker et de l’histoire du cinéma. La tour elle-même rappelle un projet architectural d’avant-garde russe des années 20 : la tour Pravda jamais construite, dessinée par les frères Vesnin en 1924.

L’interface du programme de l’ordinateur qui gère l’installation, produit perpétuellement des séquences et des relations visuelles différentes entre les cinq moniteurs. Au milieu de ces flots d’images, les intertitres crèent par le plus pur hasard, des références associatives. Marker décrit lui-même ces cartons comme de ”courts et mystérieux morceaux d’histoires inconnues. ”Une bande sonore conçue pour évoquer l’accompagnement au piano des salles de films muets, est constituée de compositions provenant de sources aussi variées qu’ Alexander Scriabin et Billy Strayhorn.

Les projets d’affiches conçus sur ordinateur, qui font aussi partie de l’exposition, le sont pour des films qui n’ont jamais existé mais qui dans l’histoire du cinéma selon Marker, auraient dû être réalisés.

Des images de Catherine Belkhodja reviennent dans toute l’installation, une femme dans laquelle Marker retrouve quelque chose du génie spirituel et plastique des acteurs du temps du muet. L’actrice qui a aussi le rôle principal dans Level Five (le dernier film de Chris Marker) devient effectivement la “star” de Silent Movie, sa narratrice non-reconnue, -ou plutôt, sa rêveuse. Comme si Marker l’avait renvoyée dans le monde monochromatique de cinéma muet afin d’en préserver les secrets.

Le réalisateur français Chris Marker est considéré comme l’une des figures indispensables et inimitables du cinéma international d’après-guerre. Jamais soumis aux règles de la narration traditionnelle, il a inventé son propre genre : en partie journal intime (ou lettre), en partie essai, en partie documentaire, et en partie fiction. Mais pour Marker le cinéma est simplement un moyen d’expression parmi d’autres. Ecrivain (de fiction, de poésie, et d’essais), tout autant que cinéaste et vidéaste, il continue à expérimenter les nouvelles technologies, dont l’informatique et le cd-rom. Son éternel désir d’exploration est particulièrement mis en évidence dans cette installation.

Silent Movie is een organisatie van de Vereniging voor Tentoonstellingen van het Paleis voor Schone Kunsten (dir. Piet Coessens) / Silent Movie est présentée par la Société des Expositions du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (dir. Piet Coessens).