Dans les festivals, les curateurs réfléchissent de manière éditoriale. Ils ne se contentent plus de montrer les œuvres qu’ils jugent les meilleures. Faire la liste des œuvres les plus importantes est une position qui ne semble plus tenable à elle seule. Le fait d’être annuel éditorialise l’événement : on parle de l’édition de telle année, de thèmes. Comme le journal a une Une, le festival a son thème porteur. Un festival doit être en prise avec l’actualité et cette actualité est en général conçue comme internationale, globale et importée.
Mais il faut revenir sur ce mot d’éditorialisation. Il implique très directement une textualisation de la politique curatoriale. Les œuvres qui sont là sont l’exemple d’un sujet-thème, elles illustrent. Tout à l’inverse d’un projet qui naît d’une réalité située, le festival par son annexion de lieu de conférences, de foires ou le détournement de lieux qu’il opère (hôtel, casino…) transforme l’espace en texte et organise la circulation dans les lieux selon sa logique linéaire.
Les événements ponctuels comme les festivals ou les expositions de curateurs indépendants se développent donc sur deux axes :
– l’axe horizontal de la thématique, inscrit dans une actualité de type journalistique ou dans une sélection rétrospective qui vise à faire le tour d’un sujet;
– l’axe vertical de la liste qui correspond à l’attribution hiérarchique des prix ou qui contribue à garantir l’importance de l’événement par le nombre de grands noms qui participent.
Au niveau du public, on retrouve la même différence : le cinéaste amateur qui va à Viper pour voir qui a gagné le prix ou le sampler intéressé aux problématiques de CUT+COPY et qui veut se faire une idée sur l’actualité du problème. Les motivations qui poussent à visiter une exposition reposent sur des attentes très différentes selon que le spectateur se déplace parce que son artiste préféré est inclus dans un événement ou parce que les questions posées par l’événement lui-même rencontrent son cheminement personnel.
Il est très rare que l’axe thématique et l’axe hiérarchique coïncident parfaitement. C’est l’histoire de la calamité quotidienne de ces événements : un grand nom se contente de prêter une petite œuvre ou impose un travail qui ne rencontre que de très loin le cadre éditorial, une thématique curatoriale trop affichée provoque des œuvres faites sur mesure,...
Mais c’est aussi tout le plaisir de voir une proposition inventive qui déborde le cadre d’un sujet fixé ou qui reconcentre l’intérêt malgré un environnement conceptuel trop lâche. Et c’est cette réalité d’interférences, de débordements, de fausses rencontres et de surprises qu’expérimente le visiteur. Voilà pourquoi le mode d’interaction, d’interactivité ou de consultation qu’on lui permet est si important : plus que de lui permettre d’avaler un contenu homogène, le mode d’interaction qui lui est proposé est un outil. Cet outil lui permet de trouver son chemin, c’est-à-dire de refaire sa sélection parmi ce qu’il voit, d’activer des connections, de trouver son sens dans l’aléatoire de l’événement.