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Help:je ne vois plus les animations!(>fenêtre
en arrière-plan) |
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L' inspecteur Columbo
n'est jamais ou très rarement dans un rapport de force physique
avec son adversaire. On insiste que son adversaire est un être
supérieur, un avocat qui ne perd jamais, un infaillible joueur
d'échec, etc. Mais ce que de tels personnages négligent
dans la scénarisation de leurs meurtres est l' usage quotidien
qui est fait des choses, le fait que les objets ne sont pas utilisés
selon la notice de leur mode d'emploi, mais plutôt dans le sens
d'une réappropriation qui traduit un goût, un mode de
vie, une personnalité.... Que l'usage fait d'une allumette
d'un bouchon de champagne, va bien au delà d'allumer une cigarette
ou d'ouvrir ou fermer une bouteille, il témoigne d'un mode
de vie, d'une conception pratique de l'existence. Lorsque Columbo
démontre qu'un objet posé à tel endroit est lourd
de sens, il ne démonte pas l'absence de logique du criminel,
mais la logique trop théorique du scénario mis en place
par celui-ci. En fait ce n'est pas tant la stratégie en elle-même
que Columbo prend en défaut, c'est plutôt que les indices
sont trop clairement mis en scène selon une logique très
différente de celle qui dirige l'usage courant des objets.
Jusque dans ses vêtements ( le fameux impeméable), dans
le choix de sa voiture, le personnage de l'inspecteur est marqué
du signe de l'usage des objets. Qu'on le confonde avec les clochards
pour son manteau élimé ou que sa voiture n'ait plus
de motif rationnel pour être utilisée, ce personnage
démontre en permanence que les objets signifient et sur-signifient.
Jusqu'à faire grincer les limites de l'acceptation sociale.
Dans "The Death of a Rock Star", Columbo est amené
par trois fois à considérer la technologie visuelle
sous l'angle de l'usage. De manière méthodique, le feuilleton
nous entraîne dans l'oeil de la spy cam d'un détective
privé, dans le dispositif vidéo d'un tenancier de bistrot
et finalement dans l'appareil de surveillance de la police routière.
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le fil de l'histoire:
Le feuilleton s'ouvre sur une scène amoureuse filmée par
une caméra cachée. Celle-ci, assez mobile, passe du décor
d'une chambre qui donne sur la mer, à un couple de jeunes gens
au physique idéal, puis s'attarde sur des cadres, trophées
accrochés aux murs, coupures de presse encadrées qui nous
laissent entendre que la femme qui est dans le lit est une chanteuse
de rock qui a connu un certain succès. La caméra repasse
sur le couple et remonte le long du mur jusqu'à une grille de
conditionnement d'air. Le mouvement de la caméra se poursuit
et nous amène à percevoir un objectif à travers
la grille. Ensuite de manière très fluide, on passe par
l'oeil de cette caméra-espionne pour voir la même scène
sous un autre angle, une autre définition. Un nouveau mouvement
de caméra nous fait découvrir que ces mêmes images
sont maintenant visionnées par l'avocat et le détective
qu'il a employé. Entre la découverte de la chambre par
la caméra mobile, le passage par l'angle de la caméra
espionne et le visionnement de ces images dans le cabinet de l'avocat,
il y a un continuum visuel d'une très grande fluidité,
comme un espace-temps visuel qui ne se laisserait entamer par aucune
rupture. Pourtant en passant du regard de la caméra fictionnelle
qui ouvre la scène, à celui de la caméra-voyeur
et enfin à l'oeil du mari trompé, le sens de l'image s'est
métamorphosé. Ce qui dans un premier temps est un regard
conventionnel d'introduction narrative ( on fixe l'identité des
personnages..)devient, à l'apparition de la caméra espionne,
un objet de voyeurisme et, enfin, lorsqu'on identifie l'avocat comme
le mari, les mêmes images ont acquis un valeur de preuve.. Elles
confirment le soupçon que celui-ci nourrissait à l'égard
de la fidélité de son épouse. Cette ouverture du
feuilleton est plus qu'une simple introduction dans la mesure où
elle souligne qu'à chaque changement de point de vue, à
chaque métamorphose de la technologie d'observation, l'interprétation
se renégocie. C'est dans les méandres du sens que peuvent
prendre les images que l'avocat et l'inspecteur au manteau dépenaillé
vont jouer à cache-cache.
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voir l'animation, cliquez l'image. |
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L'avocat veut en finir avec sa
femme. Au petit déjeuner, il lui fait ingurgiter une dose de
poudre que le spectateur n'identifie pas. La femme va au rendez-vous
avec son amant, mais l'avocat s'est introduit et a injecté grâce
à une seringue dans une bouteille de champagne une autre dose
de substance inidentifiée. Les amants rentrent de leur baignade,
trinquent à la cuisine et emportent les verres et la bouteille
avec eux. Rapidement le jeune homme s'assoupit.
Le mari pénètre alors dans la chambre et l'on comprend
que la première dose de produit qu'il avait fait ingérer
à sa femme annihilait le soporifique qui se trouvait dans le
champagne . Dans le seul but sadique de l'assassiner consciente plutôt
qu'endormie. Le meurtre accompli, le criminel efface toutes les empreintes
et se rend à la cuisine pour rincer la bouteille de toute trace
de somnifère, emporte le bouchon qu'il a percé avec la
seringue et le remplace par un neuf qu'il avait pris soin d'emporter.
Le lendemain matin, l'inspecteur est amené sur les lieux. Au
cours de cet épisode, c'est la première fiction qu'il
est amené à déconstruire. Celle d'une femme assassinée
dans son bungalow par son amant pendant une nuit d'amour qui aurait
mal tourné. La méthode de Columbo est connue de tous,
il semble oublier la vraisemblance du récit qui s'impose à
tous et interroge les objets . Comment sont-ils disposés et que
disent -ils de plus que ce qu'ils sont censés nous montrer? C'est
un thème récurrent dans le film policier lorsqu'il ne
se concentre pas exclusivement sur ce qu'on appelle l'action. C'est
un regard proche de la nature morte du 18/19 et qui s'interroge sur
ce que l'on trompe lorsqu'on réalise un trompe l'oeil: la rétine
ou les habitudes culturelles du spectateur?
D'abord l'hypothèse du crime au cours d'une dispute d'amoureux
ne colle que difficilement avec le sang froid d'un assassin qui efface
ses empreintes. Mais l'exemple le plus intéressant de la manière
de s'approcher des objets qu'a Columbo est l'examen des bouteilles et
bouchons :
ce qui éveille ses soupçons, c'est que les bouteilles
sont restées à la cuisine et qu'elles ne sont vides ni
l'une ni l'autre. Il n'y a à proprement parler aucun indice à
découvrir là si ce n'est qu'il y a une incohérence
par rapport à l'usage que les amants sont sensés faire
des objets. Au cours d'une nuit d'amour, on emporte les verres et la
bouteille au lit et on partage une bouteille plutôt que d'en ouvrir
une chacun. Contre l'hypothèse qui désigne d'évidence
un assassin ( l'amant a un casier judiciaire), une incohérence
de cet ordre, c'est peu de chose. Mais pour ceux qui considèrent
que les indices visuels sont des fictions à déconstruire,
c'est là une piste très importante.
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De l'autre côté
du miroir
Columbo ne néglige pourtant pas de poursuivre celui que tout
accuse. En suivant sa piste, il nous emmène dans un bar à
la recherche d' une amie du fuyard. La rencontre de celle-ci est surprenante:
elle est un poisson qui danse dans un aquarium. En effet, pour pimenter
le décor de son bar, un chef d'établissement a eu l'idée
de créer un système vidéo qui projète l'image
d'une jeune femme déguisée en sirène dans une pièce
adjacente. Celle-ci mime la nage à longueur de journée
au grand plaisir des habitués du bar qui l'aperçoivent
à la même taille que les poissons dans l'aquarium. C'est
elle qui donnera au policier l'adresse où il peut interpeller
l'homme en fuite.
C'est aussi symboliquement passer de l'autre côté du miroir,
découvrir l'appareillage fictionnel de la technologie visuelle,
voir comment l'oeil sec de la technologie peut se diluer dans la fiction.
A la fin de la séquence Columbo debout à côté
de la sirène fait un signe à un vieil alcoolique accoudé
au comptoir et celui-ci ne sait pas s'il doit attribuer le mirage à
la boisson qu'il ingurgite ou à l'effet de trompe l'oeil auquel
il est pourtant habitué.
Au cours d'un intermède furtif le lieutenant de police interroge
un jardinier japonais qui lui explique que sa camionnette lui a été
volée le jour du crime à peu près à la même
heure. La discussion est difficile car il parle à peine l'anglais,
et s'exprime de manière imagée: sa camionnette était
garée à l' endroit où il pleut des baies rouges...
L'inspecteur met la main sur le suspect et met en balance la piste que
lui suggère la version première des faits: un homme au
passé lourd a fui un meurtre qu'il vient de commettre avec la
piste que lui inspire l'usage d'un bouchon de champagne. Et c'est cette
dernière qu'il va suivre.
Et c'est à travers le trou minuscule de ce bouchon de champagne
que va fuir le système clos mis en place par l'assassin. En effet,
vus de plus près, les bouchons ont une légère différence,
un petit sigle les différencie. Ils sont de qualités différentes.
Or toutes les bouteilles du bungalow sont identiques.Ce bouchon doit
donc venir d'ailleurs. Le bouchon a laissé s'échapper
un indice, le système s'est ébréché. Dans
le bureau du juriste, le policier trouve un autre frigo qui est rempli
des bouteilles de l'année qui correspond au bouchon trouvé
au bungalow . La fuite du bouchon a permis de retrouver le coupable.
Mais coup de théâtre: l'enquête ne peut pas s'arrêter
là. En effet, le fameux avocat accusé par le policier
projette une deuxième fiction, qui celle-là utilise le
système de surveillance de la police. A l 'heure du crime, il
était à Pasadena et son témoin oculaire est une
caméra de surveillance routière. Avec sa contravention,
il a reçu par la poste sa photographie datée avec l'heure
précise indiquée.
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Une pluie de baies rouges.
Quoi de plus imparable comme alibi qu'un alibi donné par la police
elle-même et par sa prothèse la plus rationnelle à
savoir son appareil automatisé de surveillance radar et vidéo.
Incrédule face à ce retournement de situation, l'inspecteur
se rend au service qui s'occupe d'archiver toutes les images récoltées
par la technologie de contrôle routier. Pas-à-pas il vérifie
que ce n'est pas la technologie qui est défectueuse, le système
semble infaillible. Le système clos est hermétique: on
ne peut pas remplacer une image par une autre, les dates se succédent
parfaitement d'une image à l'autre. Dans une scène à
la Blow Up, Columbo fait agrandir toutes les images des conducteurs
pris en infraction. Il semble en tirer une conclusion et fait un excès
de vitesse devant la même caméra. Lors de la scène
finale, il se rend chez l'avocat et lui montre les différentes
photos des conducteurs en infraction: toutes ont une ombre sous le nez
qui suit la même direction due à l'heure et au soleil.
Seule la photo de l'avocat en a une différente. Columbo se livre
alors à une démonstration, il invite l'avocat à
voir sa voiture. Au volant le sosie de Columbo. Lorsque celui-ci sort
de la voiture, Columbo dévoile l'artifice: il s'agit d'une femme
qui porte sur le visage la photo du visage de Columbo. La photo du visage
recouvrant le visage de la femme, voilà comment tromper la caméra.
Et voilà qui explique aussi pourquoi l'ombre de la photo de la
contravention ne correspond pas à la lumière de midi:
c'est la photo d'une photo prise à un autre moment. C'est donc
la secrétaire de l'avocat qui était au volant pendant
que lui commettait son crime.
Il lui faut à présent expliquer comment il s'est rendu
sur le lieu du crime car la voiture était elle sur le lieu de
l'infraction. Il avait subtilisé la camionnette du jardinier
garée sur le boulevard où il pleut des baies rouges, en
y laissant sa voiture que sa secrétaire était venue chercher
ensuite. Mais la voiture était restée stationnée
suffisamment longtemps pour que s'introduisent d'insidieuses baies rouges
dans la petite grille d'aération du radiateur. Et c'est lorsque
Columbo récupère quelques baies de cet orifice que sa
démonstration s'accomplit.
On peut tirer différentes conclusions de cette finale . La première
est que les codes qui sont inversés sont doubles: le code numérique
des images a servi de transmetteur à une fiction produite par
celui qui est surveillé par le système. La conscience
d'être vu par la technologie permet de l'utiliser pour faire voir.
Ensuite, la technologie montre une incapacité égale à
celle de l'oeil nu lorsqu'il s'agit de différencier les codes
de la représentation sexuelle. La caméra de surveillance
enregistre l'image d'un homme alors que c'est une femme qui conduit.
Et lorsque Columbo prend l'avocat à son propre piège(
et le spectateur), il croit aussi voir un homme là où
il y a une femme. Enfin la véritable preuve matérielle
produite par l'officier de police est la présence de baies rouges.
Là il faut peut-être revenir sur le dialogue entre Columbo
et le jardinier japonais. Lorsque le policier demande au jardinier où
exactement il s'est fait voler sa camionnette, le jardinier qui ne possède
pas parfaitement une langue pour lui étrangère lui répond
par un qualificatif qui vient de l'usage du lieu et non de son marquage
territorial. Il répond depuis une autre conception de la géographie,
non pas celle des districts et des répartitions territoriales,
mais celle de l'expérience courante. A la géographie vue
de l'air, aux cartes tracées depuis l'imagerie aéronautique,
il oppose la géographie vue d'en-bas. A celle d'un oeil qui mesure
depuis le ciel, celle de celui qui est sous la pluie des baies rouges.
Et elle inspire son intuition au policier capable d'entendre cela chez
un autre;- et capable de profiter comme d'une chance que quelqu'un ne
sache pas dire quarante-cinquième rue, mais bien "pluie
de baies rouges". C'est certainement le fait d'être lui aussi
immigré dans ce pays qui lui fait considérer le rapport
au langage et sa capacité d'imposition sur le réel comme
une construction qu'il s'agit de défaire pour mettre en échec
des stratégies qui reposent sur des rapports de dominance sociale(
la plupart des adversaires de Columbo sont issus de classe supérieure).
C'est enfin la deuxième fois que la précision géométrique
des fictions de l'avocat se délaie dans un liquide.La première
fois son système clos fuyait par le trou d'un bouchon de champagne,
et la deuxième, reconstruit par l'oeil sec de la technologie,
sa précision géométrique se dilue dans une pluie
de baies rouges.
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